Corps et Parole du patient. Par Véronique LOVENS Sexologue Clinicienne Paris et Liège.

Visions et approches par les apprenti-soignants en soins infirmiers.
Véronique Lovens, Sexologue Clinicienne,
Maitre assistant et Maitre en formation pratique à la Haute Ecole Libre Mosane Ste Julienne de Liège.

Extrait de l'intervention de Véronique LOVENS au Colloque Université catholique de Louvain
IIIème colloque du Centre Interdisciplinaire de Recherche sur les Familles et les Sexualités (CIRFASE –
IACCHOS – UCL), en collaboration avec le Laboratoire d’anthropologie prospective (LAAP –
IACCHOS – UCL), le Centre d’études sociologiques (CES-FUSL) et la Haute Ecole de Namur
(HENAM – Département paramédical)



Introduction

Mon propos s’adresse à toute personne désireuse d’aborder le domaine si spécifique que sont les soins infirmiers et d’en augmenter leur compréhension par le détour d’étudiant en début de formation.

Mon choix de développer mon propos en m’intéressant uniquement aux étudiants de 1ère année Bachelier en soins infirmiers n’est pas anodin.
Effectivement ces derniers sont aux portes de la découverte de ce monde nouveau que représente l’art des soins infirmiers. Aucune routine dans leur façon de faire, rien qui ne soit encore un automatisme. La façon dont ils perçoivent ce métier est sans confrontation avec l’expérience qu’amène une pratique professionnelle régulière. Leur regard sur ce qui est vu, vécu est neuf, leurs expériences sont souvent des premières fois. Leurs émotions sont dans l’intensité car non atténuées par une distance que le temps aide souvent à acquérir ou parfois impose. Je me limite donc volontairement à cette population d’étudiants novices, tout en reconnaissant l’intérêt que représenterait cette même approche avec le concours de professionnels de terrain aguerris.

Méthodologie et recueil des données

Diverses enquêtes ont été menées durant 5 années auprès d’étudiants de 1ère année Bachelier en soins infirmiers.
Etudiants inscrits régulièrement à la Haute Ecole Libre Mosane (HELMo) Ste Julienne de Liège.

Le corps, corps à soigner ; lorsque l’on est étudiant en 1ère année Bachelier en soins infirmiers.


1. L’approche du corps ; comment est-elle envisagée ?


Jusqu’ici les convenances, les bonnes manières inculquées pour une vie en société ont donné à notre jeune un code de bonnes conduites et notamment en ce qui concerne l’autorisation de toucher quelqu'un de non familier : on lui serre la main et en matière de le dévêtir, on se permet juste de le débarrasser de son manteau.
Par le choix de leurs études les étudiants vont être propulsés dans un milieu où tout ce qui était interdit habituellement devient le quotidien.
Ils vont devoir intégrer un nouveau mode d’approche : « Le code de l’accès au corps en demande de soins ». Dès leurs premiers contacts avec le milieu des soins et ce durant les stages en milieu hospitalier, ils seront amenés à dévêtir un étranger, le toucher pour lui prodiguer des soins d’hygiène et autres, le débarrasser de ses excréments, le seconder dans des activités basiques qu’il ne sait plus assumer en pleine autonomie…


Pour ce qui a trait au fait de déshabiller le bénéficiaire de soins :

Face aux fonctions d’élimination du corps :

Devant la vue de la souffrance :

Quelle expérience étrange que puisse être la vue de la souffrance d’autrui !
F.Duyckaerts nous livre dans son ouvrage : « La rencontre avec la souffrance d’autrui est une expérience critique ». La vue de la souffrance est une souffrance, souffrance qui est ressentie par le souffrant mais aussi par le sujet qui l’observe. Elle agit en écho, l’observateur est dans un état de résonance avec la douleur de l’autre. Ce phénomène permet la rencontre avec l’autre mais elle fait aussi référence aux propres souffrances du soignant et entraîne ce dernier face à elles. Elle le renvoie également vers une sensation d’impuissance, de non-maîtrise, de déplaisir.

Lors de nos enquêtes, les étudiants, après avoir eu un contact avec le milieu des soins, nous indiquent que d’être le témoin de cette souffrance est ce qui représente le plus haut indice de crainte chez eux. Celle-ci agissant en miroir et leur renvoyant des sensations d’impuissance. Mais aussi ils expriment de forts sentiments d’identification au bénéficiaire dans l’expression « Cela pourrait être moi ». Dans la vision de la souffrance la notion de mort y est également associée et celle-ci est très douloureusement ressentie et repoussée par nos apprenti-soignants.

La confrontation quotidienne à cette souffrance va entraîner le soignant à mettre en place des stratégies afin de diminuer la charge du vécu de cette douleur partagée. L’appartenance à un groupe, une équipe de soins, est un élément important pour le soignant, car au sein de ce cercle, ce lot d’expériences communes va faciliter l’expression de son ressenti. Le contexte de soins est connu des différents membres de l’équipe pluridisciplinaire, l’histoire du bénéficiaire, le traitement, l’espoir d’une amélioration ou non… ceci amène les divers membres du groupe à pouvoir accueillir plus aisément les sentiments et les réactions suscitées face à cette souffrance partagée.
« Le savoir-faire infirmier nécessite des connaissances personnelles et professionnelles que l’on acquiert par l’expérience »
L’apprenti-soignant, découvrant ce monde hospitalier, va, lui, également vivre et partager avec le bénéficiaire cette souffrance. Hors dans bien des cas, le contexte de soins n’est pas toujours à la portée de sa compréhension dans son entièreté vu son état de novice dans le milieu. Souvent il ne pourra pas ou que partiellement en faire écho à l’équipe soignante ne faisant pas partie de celle-ci. Il ne trouvera pas le ou les moments d’intimité nécessaires et propices afin de livrer ce qu’il a vu, entendu, ressenti.
Ces expériences vécues nécessitent cependant souvent d’être accompagnées afin d’être modulées, redéfinies, rapprochées des expériences d’autres… Le partage d’expérience est un élément important car il va permettre à l’étudiant de confronter son vécu avec ceux des autres, de lui-même le recadrer et parfois de prendre du recul par rapport à certaines situations et ainsi d’en diminuer la charge affective investie. Ce partage permettra également la libération de certaines interrogations sur la vie hospitalière et permettre une compréhension plus large de celle-ci. Permettra également suivant les cas, d’apporter ou d’envisager une réponse émotionnelle ad hoc par rapport aux rôles de soignant dans les situations rencontrées.


Face à la présence d’une érection :

L’érection ! Sa présence lors des soins est souvent non attendue par le soignant, voire sans objet dans la relation de soins et donc « mal venue ».
Lors de nos enquêtes, nous avons remarqué une différence entre les réactions suscitées par la vue de cette érection chez les filles et les garçons. 46% des filles vont rougir à la constatation de la présence d’une érection chez le bénéficiaire tout en continuant leur travail. Les garçons eux à 43% vont y être indifférents et poursuivent leurs tâches de soins. Et puis 30 % des filles et garçons indiquent fuir la situation en sortant de la chambre. On peut en déduire que la vue de cette érection suscite une réaction. Réaction en rougissant ou en fuyant et cela est à remarquer pour pratiquement la totalité (76%) de notre population féminine. Ce qui amène à dire que la vue de cette érection dans une situation non érotique renvoie une interprétation de celle-ci ? Cette érection serait-elle le signe d’une excitation sexuelle ? Et si oui, y-a-t-il une implication de la soignante ? Faut-il y voir une invitation à la sexualité ?
Dans le vécu sexuel, la présence de la partenaire est souvent un élément déterminant dans le processus d’excitation sexuelle et la présence d’une érection est signe pour la partenaire : d’une part de la présence de cette excitation et d’autre part d’une invitation à un échange sexuel possible. Alors dans la relation des soins où l’érotisme n’est pas recherché et n’est pas de mise, comment interpréter cette réaction du corps de l’homme ?
Serait-ce simplement une réaction du corps masculin sans qu’il n’y ait de responsabilité ni d’invitation à l’encontre de la soignante ?
Pour la plupart des garçons la présence de cette érection est peut-être perçue plus facilement comme une réaction réflexe de l’organe à la manipulation, eux-mêmes en étant dotés et ayant probablement déjà vécu ce phénomène. De plus ceux-ci n’ont probablement pas vécu le rôle « d’élément excitant » en rapport à la présence d’une érection chez un homme et dés lors ils ne se projettent pas dans un « scénario » où ils seraient ce facteur déclenchant. D’où l’expression de leur réaction plus indifférente que chez les filles.


2. Côtoyer et approcher les émotions vécues dans une relation de soin.

Lorsque l’on est apprenti-soignant débutant, où se situe-t-on pour côtoyer, approcher, appréhender les émotions vécues et inhérentes d’une relation de soins ?

Lors de nos enquêtes, 93% des étudiants interrogés répondront ressentir des émotions lors des soins. Les thèmes qui reviennent les plus fréquemment sont de deux ordres : ceux de la fierté et de la joie et puis les peurs.

Commençons par celui de la fierté et de la joie : il existe un sentiment de gratification ressenti et exprimé par l’étudiant lorsque le patient manifeste son contentement, voire sa reconnaissance en rapport aux soins prodigués à son encontre. Il y a également un sentiment d’autosatisfaction révélé par l’étudiant né de son action altruiste. Souvent, ces ressentis divers sont un moteur participant à la motivation de l’étudiant pour le métier qu’il vient d’embrasser. De plus, ces expressions de contentement lui sont généralement déjà adressées dès les premiers soins exécutés.
Les motivations les plus fréquemment avancées par les étudiants infirmiers pour ce choix d’études ont justement trait au désir d’être utile à l’autre, la recherche d’une relation avec autrui, au désir d’apporter soins et aide à une personne en demande… caractéristiques qui émotionnellement sont rencontrées ici.

Sur le thème des peurs, les plus fréquemment exprimées sont :
∼ La peur de ses propres réactions par rapport à ce qui sera vu, entendu,… mais aussi par rapport à ce qui sera demandé à exécuter. Tout ceci va collationner l’étudiant à ses limites. Ce qu’on lui demande de faire est jusqu’ici inexpérimenté et inexploré. Ils sont devant des expériences de premières confrontations.
∼ La peur de l’impact de la relation avec le malade ; s’accorder à son humeur, son caractère, ses dires, son corps…
∼ Et puis des peurs en rapport à sa valeur : peur de mal faire le soin, peur de faire mal, peur de l’inconnu…
Lorsque dans la relation de soins, les émotions présentes sont reconnues par l’apprenti-soignant, cela implique ce dernier et il va devoir gérer les émotions ainsi identifiées et ressenties.
Il est confronté à ce que l’on nomme communément la distance thérapeutique, qu’il va devoir acquérir. Cette distance qui va aider la personne malade dans sa détresse, permettre au soignant d’être dans une relation d’aide par rapport à cette détresse tout en gardant assez de distance pour pouvoir aider sans y être totalement absorbé.
Cependant, centré sur soi, centré sur la technique à réaliser, l’étudiant ne sera pas toujours dans une attitude d’attention envers la personne à soigner. Par contre lorsque cette attention à l’autre est présente, l’expression tant verbale que comportementale d’un malaise, d’une souffrance ou autre dans le chef du soigné va déclencher chez l’étudiant, une attention à l’autre et cette détresse perçue va pousser à vouloir aider. A partir de cette prise de conscience, une rencontre émotionnelle entre les deux individus se voit créée. Etat dans lequel le patient se sent compris par l’autre et où le soignant a cette capacité de percevoir et ressentir les émotions d’autrui. C’est ce que l’on nomme communément l’empathie.
Cette notion doit également faire l’objet d’un apprentissage, hors lorsque l’étudiant de 1ère année début dans le milieu hospitalier, les règles ne lui sont pas familière, de même au niveau des techniques à exécuter tout est dans le registre de la nouveauté et où, vu son statut d’étudiant, il est sous la pression de l’évaluation car derrière celle-ci, c’est son égo qui est également jugé et en cas d’échec, en plus d’être honteux de celui-ci, il y a la menace d’être considéré comme un incapable et donc d’être rejeté du milieu qu’il vient de choisir. Ce qui souvent va le pousser à être centré sur lui et sur la technique de soin à exécuter et va l’éloigner de la notion de pertinence par rapport à l’état du bénéficiaire. Hors c’est cette notion qui va permettre l’établissement d’une relation d’aide envers le patient.

Abordons maintenant cette approche et cet apprentissage à la relation d’aide par l’apprenti-soignant.


Conclusions

La rencontre entre le bénéficiaire de soins et l’apprenti-soignant est une expérience d’échanges. Montrer son corps, demander aide et assistance, laisser transparaitre ses émotions…pour ce qui est du bénéficiaire et pour l’apprenti-soignant les accueillir et pouvoir être là ; efficace et compétent, empathique sans être envahi.

L’abord du corps que l’on pourrait croire facile, ne l’est en réalité nullement car derrière tout corps il y a un être qui s’exprime ; que ce soit son malaise, sa gêne, sa souffrance, son contentement, ses remerciements, ses émotions… Alors que notre apprenti-soignant dans sa découverte du milieu infirmier s’accroche à la technique de l’acte à exécuter il est souvent bien dépourvu devant la prise en charge dans le soin de l’état émotionnel de la personne à soigner. Notre étudiant sera ballotté entre ce partage d’émotions avec le bénéficiaire et ses essais de mise à distance de la situation. Certaines expériences telles que la vue de la souffrance, l’expression d’une détresse, la présence d’érection et autres seront des expériences qui demanderont à l’apprenti-soignant de mobiliser ses capacités à l’acquisition de ce que l’on nomme la distance thérapeutique.

Les émotions telles la joie, la fierté,… ressenties par l’apprenti-soignant agiront souvent comme moteur motivationnel face au métier pour lequel il entre en formation. Ses peurs traduisent la prise en compte de son inexpérience face à la gestion des émotions du bénéficiaire. Mais la relation au bénéficiaire les pousseront à aller à la confrontation du vécu, des émotions du ce dernier, celles-ci sont la preuve que le bénéficiaire est vu comme autre chose qu’une « fiche médicale » mais qu’il s’agit bien d’une rencontre avec une personne, personne dans le besoin et en demande. Cette approche, cette préhension de l’univers de l’autre en étant attentif à tout ce que le bénéficiaire exprime tant dans le ton de son discours, que dans sa façon d’être… s’apprend et se module. Le tout en laissant cet espace d’expression à l’autre avec la difficulté de diminuer sa part subjective dans l’accueil des ressentis de la personne à soigner même si ces émotions, interrogations, doutes…sont partagés.

Programme Complet du Colloque

Véronique LOVENS Sexothérapeute, Sexologue Clinicienne Paris
www.sexologue-sexotherapeute.com




Rédigé le Mardi 29 Mars 2011 modifié le Lundi 11 Février 2013
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