Pour jouer avec les limites. Joël de Martino pour la Revue Hypnose & Thérapies Brèves



Variation sur le « Non !... J’déconne… » utilisé par de nombreux adolescents, le texte de l’intervention de Joël de Martino très remarquée lors des Transversales de Vaison la Romaine en 2008 est publiée en hommage à Franck Farrelly.

DÉFINITIONS

Déconner (v. intr.) : dire des bêtises, des inepties, ne pas être sérieux (argot) ; exagérer, divaguer, déraisonner ; plaisanter, s’amuser, faire des bêtises, se laisser aller.

Etymologie (1883) : de dé-, con-, et suffixe verbal. Le sens initial érotique est vieux ou très rare ; le passage de ce sens (à celui-ci) n’est pas clair (métaphore de « sortir du vagin » ou croisement avec le sens familier : de con : « imbécile ») (Grand Robert). A noter cependant qu’on ne dit pas : « Non ! J’dévagine ! »

Ainsi, comme l’écrivait Freud en 1905 dans Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient : « Les mots représentent une substance plastique et malléable à merci ; il y a des mots qui, dans certaines combinaisons, ont perdu entièrement leur plein sens primitif, qu’ils ont en revanche gardé dans d’autres » (p. 48).

Par exemple, comme le journal CQFD l’écrivait en mars 2005 (N° 21) : « Je me demande si, en employant le mot « enculé » comme nom ou adjectif, on fait forcément référence aux pratiques sexuelles (la sodomie) et à l’intromission anale chère au Figaro. En effet, combien de fois n’entendons- nous pas la phrase : « Faut pas déconner ! », laquelle signifie littéralement : « Il ne faudrait pas que ma bite sorte du con où j’ai eu la chance de pouvoir la fourrer » ! Et si l’on se plaît à « déconner ensemble », cela signifie-t-il qu’on pratique tous le coïtus interruptus au même moment ? Faut-il entendre dans votre bouche, s’il vous arrive de prononcer une telle phrase, une intention hétérophobe, concernant des mecs et femmes, pas même foutus de bander jusqu’au bout, ou qui débandent avant que d’avoir satisfait leur partenaire ? Que nenni ! De même pour « Ça t’en bouche un coin », « Tu l’as dans le dos » (ou l’os, ou le cul), « S’en foutre »… Ne dit-on pas : « Je me suis fait baiser » ? S’imagine-t-on pour autant, en le prononçant, des situations de copulation débridée ? Je ne le pense pas. »


Synonyme : blaguer, déraisonner, baragouiner, battre la campagne, bredouiller, discourir, bafouiller, s’abuser, s’abêtir, débloquer.

Anglais : (= plaisanter) : to talk garbage ; (= dire des bêtises) : to talk crap ; (= faire des bêtises) : to muck around ; (= appareil, télévision, ordinateur, marcher mal) : to play up.

Il faut prendre en compte, de plus :
- Et l’intonation avec laquelle est dite la formule. L’intonation va jouer comme les tons dans la langue chinoise. Elle va renforcer ou diminuer ce que le linguiste Göran Hammarström appelle les « contourèmes ». Le contourème désigne cette nuance de sens ténue et différentielle qui émerge dans l’esprit, quand on entend des énoncés comme : « une femme vieille », et « une vieille femme ».

- Et les kinèmes ou les changements d’expression, comme on peut en voir chez un Buster Keaton ou un Louis Jouvet.

DISTINCTIONS

Le « Non !... J’déconne... » est à distinguer du :

- « Faut pas déconner ». Le « il faut » indique que c’est nécessaire, selon la logique du raisonnement (en tant qu’explication d’un fait, autrement inexplicable). Cette expression peut initier une phrase ou la conclure. Il n’y a pas d’échappatoire. C’est un ordre donné à la pensée. C’est un impératif « déconnatégorique », comme aurait osé le dire Kant.

- « Je déconne ». C’est le mode indicatif présent au sens fort de « l’action présente énoncée et constatée ». L’expression indique qu’il y a une sorte de ratage, que quelque chose « cafouille », n’est pas conforme au contexte ou aux règles du jeu convenus à un moment donné. Il n’y a ici aucune ambigüité. dans le message, qu’il soit anticipatif ou conclusif. On peut utiliser aussi l’expression pour indiquer des défauts de mécanique, des bugs dans des processus. Exemples : « La mémoire vive de mon ordi fait déconner mes programmes », « J’ai mon téléphone qui déconne complètement ».

- « Oui ! Je déconne ». Ici, la particule d’affirmation vient renforcer le verbe. Ce « oui » équivaut à une proposition affirmative qui répond à une interrogation non accompagnée de négation. C’est comme si, après avoir donné son message, l’émetteur percevait le doute, le trouble qui naît chez le récepteur. Comme si, par intrusion, il avait entendu la pensée de l’autre et venait la corriger immédiatement.

- « C’est pour déconner ». « Moi ça m’est arrivé souvent d’embrasser mes amis(es) (sur la bouche et avec la langue bien sûr) pour déconner, bon je ne le fais pas avec tout le monde seulement avec les plus proches... Ma soeur le fait aussi, et pas mal de personnes ». Ici, une nuance sémantique supplémentaire est amenée. Elle floue la limite définitionnelle du terme et introduit la notion de « faire semblant », du « c’est pas pour de vrai !! » comme disent les enfants en riant.

SIGNIFICATIONS, FONCTIONS



JOËL DE MARTINO: Docteur en Psychologie Sociale Clinique. Psychanalyste et sexothérapeute. Hypnothérapeute clinique et éricksonien. Clinicien des thérapies cognitives et comportementales. Formateur en Langages, Communication, Expressions Corporelles et Théâtre. Praticien de l’Intégration par les Mouvements Oculaires (IMO). Hypnose Thérapeutique Stratégique par les Mouvements Alternatifs (HTSMA). D.U. de Clinique des Thérapies Cognitives et Comportementales (TCC). D.I.U d’Addictologie.





Rédigé le Lundi 10 Juin 2013 modifié le Jeudi 13 Juin 2013
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Vice-Président de France EMDR-IMO ® Président du Collège d'Hypnose et Thérapies Intégratives… En savoir plus sur cet auteur



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