Faisant suite à l'excellent article du Dr Dominique Megglé sur
l'intérêt de la profondeur de transe
TRIPLE MERCI
Un triple merci à D. Megglé :
• Pour avoir instillé dans son article la vivacité nécessaire pour réveiller la torpeur des premières chaleurs estivales et saluer ainsi la sortie de la « période sèche » de l’hypnose, celle des unanimismes illusoires qui durent ce que durent les temps de crise.
• Pour offrir à nos synapses une bonne controverse, et donc l’occasion de pratiquer quelques étirements qui nous réchaufferont jusqu’aux premiers frimas. Rien de tel en effet qu’une querelle des Anciens et des Modernes pour enflammer derechef le débat à coups de surenchères, et offrir un boulevard aux professions de foi adverses ou autres revendications en intégrisme supérieur. Jusqu’à ce qu’un consensus s’accorde en gros pour reformuler la question initiale et la poser au centre d’un nouveau territoire à explorer.
• Pour sa brève référence à Michael White, même si de mon point de vue qui n’engage que moi, l’essentiel de son enseignement réside ailleurs que dans les cartes narratives. Notons en passant qu’il hésitait à les détailler par écrit, de peur de les rendre trop prescriptives. Il y avait, c’est à craindre, quelque chose en Michael de bisursinien ; par exemple, cette intention de transmettre son expérience tout en respectant fidèlement sa répugnance à « faire école ». Et son obstination à définir la posture éthique du thérapeute comme influente, et aussi décentrée. Ce qui aboutissait en gros à inviter le praticien à mettre en veilleuse sa propre histoire, et à maintenir un questionnement critique concernant l’influence de ses modèles et références sur la relation thérapeutique. Voilà qui serait plutôt de nature à mettre tout le monde d’accord, dommage, c’est trop tôt, la discussion commence à peine.
UN POINT DE VUE NARRATIF
Au-delà de la métaphore des cartes, pas forcément « la » référence narrative pour tout le monde donc, que viendrait faire au juste un point de vue narratif dans le débat soulevé ? Rappelons que, si ma compréhension est correcte, il est question de comparer en les opposant :
• la transe profonde, celle du Maitre, traditionnelle, artisanale et de qualité thérapeutique supérieure - le foie gras donc, réservée à l’élite qu’elle gratifie au surplus de croisières tranquilles, mers tropicales, poissons multicolores, et autres lagons bleus
• à la transe légère-moyenne, moderne ersatz thérapeutique à base de gras de porc, héritée d’un disciple timoré au passé trouble de psychanalyste jungien, débitée à la chaine par des bisounours illettrés, amateurs de malbouffe, et que tant de turpitudes destinent à un naufrage encore bien clément.
Les possibilités d’aborder la question de façon narrative abondant, je proposerai les premières qui me soient venues sur mon pédalo, à me régaler de ces réjouissantes métaphores gustatives et colorées.
BRIÈVETÉ, EFFICACITÉ
Avouons-le courageusement, la recherche de quintessence, n’est pas trop la tasse de thé – ni même la canette de canada dry – du praticien narratif lambda, qu’il s’agisse de transe ou d’autre chose d’ailleurs. Fidèle à l’intégration d’une logique constructiviste dans le champ de la psychothérapie, l’approche narrative invite même à explorer des chemins de traverse bien éloignés des prises de position essentialistes, notamment concernant l’identité. Parce que celles-ci lui paraissent présenter quelques inconvénients au regard des objectifs thérapeutiques. Le premier consiste à enfermer le client dans des cristallisations bi-polarisantes, comme dans la métaphore agricole et minière chère, entre autres, à la psychanalyse : si c’est pas profond, c’est forcément superficiel, et si c’est superficiel c’est sans valeur puisque le minerai, l’inconscient, et le foie gras sont au fond.
Rappelons aussi que l’équivalence : brièveté de la thérapie = critère de performance (tournée générale de gin en prime) ne va pas vraiment de soi, toujours pour le praticien narratif lambda. Il arrive même que des thérapeutes de premier plan poussent le bouchon jusqu’à se vanter de « trainailler » sans vergogne dans les espaces sécures et histoires préférées du patient. Tentons d’expliquer cette bizarrerie. En s’inspirant de l’éthique de M. Foucault, l’approche narrative met la question du pouvoir au centre de sa réflexion. Et invite le praticien à garder un œil aussi vigile que critique sur toute norme culturellement admise, thérapeutique ou non – surtout quand elle s’érige en étalon de la performance. L’idée consiste là à mettre au centre l’histoire du patient, besoins compris, plutôt que la construction du monde du praticien. Par exemple, le déclin rapide de la souffrance ressentie – ou de la plainte selon F. Roustang – constitue généralement un objectif explicitement partagé par le praticien et son patient.
De là à considérer la brièveté de la thérapie comme un indice de performance évident, il y a un pas qui peut s’avérer utile – ou pas, suivant qu’il coïncide avec les besoins du patient, ou plutôt avec les critères du thérapeute. Car si nous reconnaissons les effets disciplinants de nos discours, cela implique qu’un étalonnage proposé implicitement comme naturel ou normal véhicule à son revers une mise en échec potentielle pour qui s’y trouve mesuré, et puisse opérer comme une résurgence de l’« empire de l’efficacité » qui conduirait à challenger le patient sur ses performances et capacités à produire des résultats thérapeutiques rapides. Et mènerait à terme à reproduire dans l’espace thérapeutique les effets normalisants qui précisément ont pu contribuer à l’y conduire, ce qui ne ferait pas précisément nos affaires.
Pour bien clarifier mon propos, je précise que ce qui est questionné là n’est pas la valeur « en soi » de la brièveté en thérapie, mais l’utilité de la promouvoir, dans l’espace relationnel de la cure, au rang d’un enjeu naturel, « allant de soi ».
Par ailleurs, et sans vouloir chipoter toutes les queues de cerise qui dépassent des verres à cocktail, définir l’identité sur un mode essentialiste présente l’inconvénient de fixer les problèmes à l’intérieur du patient comme autant de caractéristiques…essentielles justement, ce qui rend inutilement compliquée, voire paradoxale, l’opération consistant à vouloir ensuite les en déloger.
Nous pensons à l’inverse que l’identité se construit et se négocie en permanence de façon relationnelle, au moyen par exemple des discours que nous tenons à notre propre sujet. Ce qui nous conduit à interroger l’efficacité de nos gestes thérapeutiques suivant une perspective relationnelle : « A quoi est-ce utile, qu’est ce que cela rend possible, et dans quel contexte ? »
Béatrice DAMERON
Psychologue clinicienne psychothérapeute, en exercice libéral en région parisienne. Utilise principalement les pratiques narratives, l’hypnose et l’HTSMA. Intervient également en entreprise. Auteure et coordinatrice de plusieurs ouvrages et articles en pédagogie, thérapie, et coaching.